mardi 31 mai 2011

Le cycle des princes d'Ambre - Corwin

Parler des œuvres qui rencontrent chez nous une adhésion totale est un exercice difficile. Je présenterai donc surtout quelques pistes, dans cet article désordonné, des raisons de mon intérêt pour le cycle consacré à Corwin de la saga des princes d'Ambre .





# Un univers original (0) : 

La cité d'Ambre est une version idéalisée, un éden médiéval (1) qui abrite en son sein la Marelle, représentante de l'Ordre. De son centre part une infinité d'Ombres, constituant autant d'univers parallèles. Les princes d'Ambre peuvent traverser la marelle et obtenir le pouvoir de voyager à travers les Ombres. Jusqu'à un certain point : A mesure que l'on s'éloigne d'Ambre et de son influence, les Ombres deviennent de plus en plus folles et les princes perdent leur capacité à voyager entre elles. Au-delà : les Cours du Chaos.

# pour une œuvre atypique au classement difficile : 

Cependant, s'il fallait définir les princes d'Ambre, nous placerions cette œuvre dans le genre de la science fantasy ("science" pour l'aspect des mondes parallèles et des pouvoirs à interagir sur eux; fantasy pour le reste).

Rogez Zelazny n'appréciait pas de devoir étiqueter ses histoires dans la SF ou dans la fantasy et considérait que se contraindre à un genre pénaliserait la créativité du romancier. 

# - Consacrée à Corwin, un héros tragique*, mythique :

L'auteur s'est toujours inspiré des mythes et légendes pour ses romans, leur apportant une puissance symbolique et un souffle épique évident. Et si les tourments et les passions humaines se retrouvent dans le héros, le mettre en position de force accentue la portée de ses actes et de leurs conséquences.

Le prince d'Ambre Corwin est parfaitement représentatif du héros tragique grec soumis à son orgueil (hybris) : sûr de sa position de prétendant au trône et de ses qualités à gouverner Ambre, il affronte son frère Eric et perd. Celui-ci, fin politique déjà installé à Ambre était certainement plus à même de gouverner. Fait prisonnier, Corwin finira par lui lancer sa malédiction - laquelle touchera Ambre et profitera aux Cours du Chaos (faute fondamentale). Corwin aura alors à faire face à la responsabilité de ses actes et à la disparition de son ambition pour le trône d'Ambre  (Destin ou Moïra) en même temps que de son frère Eric.

# le détournement du mythe : 

Zelazny ne s'inspirait pas uniquement de la mythologie, il la détournait : la simplicité et morale qui gouverne le mythe est avant tout un manichéisme de façade.

Ainsin Corwin n'est pas un modèle de vertu et représente une forme d'anti-héros. Et l'opposition entre les Cours du Chaos et Ambre propose une image inversée à plus d'un titre (Cours des Chaos stables et régime d'Ambre représentante de l'ordre instable).

L'archétype du destin tragique s'arrête finalement avec les fusils d'Avalon : en un sens le sujet des volumes suivants glisse de Corwin à Ambre et les relations de la famille régnante. Nous suivrons ses pas  dans ses efforts pour protéger la citée et découvrir la vérité sur ce qui s'est passé. 

#  Le style de zelazny - les ombres de Jung & le lecteur autonome :

Il a parfois été reproché à l'auteur une absence d'organisation dans ses romans. Cependant, comme le notait Marcel Thaon dans la préface du livre d'Or de la SF : "Zelazny comme Hemmingway procédait par omission (l'univers est plus grand que le livre)". 

Celui-ci confessait d'ailleurs dans un entretien (2)  que ses écrits constituaient une image personnelle, déformée et limitée du monde, laquelle comporte des zones d'ombres (les ombres de Jung) : "mes histoires reflètent les zones d'ombres ainsi que et les zones de lumière : elles contiennent quelques problèmes ambigus ou inexpliqués, même si la plus part des choses respectent les règles."

L'auteur fonctionnait d'autre part à l'économie des descriptions et explications du cadre et des personnages. Cela permet d'éveiller l'intérêt du lecteur en donnant uniquement les informations nécessaires au fur et à mesure de la progression de l'histoire, et participe d'un  d'un respect du romancier pour l'esprit de déduction de ses lecteurs (3).

# Un mot sur l'humour, très présent dans l'univers Zelazny :

Pour cela nous emprunterons un extrait à une autre œuvre, "Terres Changeantes" :
Dilvish, changé en statue, l'esprit banni en enfer, revient au monde après plus d'un siècle. Il avait autrefois été membre mineur d'une confrérie.

Lors d'une conversation à son propos :
"- Ravi de vous avoir été utile. Au fait...
- Oui ?
- Si jamais vous revoyez ce Dilvish, dites-lui qu'il est en retard, question cotisations."



0 : L'inspiration : le déclic se serait fait après la lecture du Monde Obscur d'Henry Kutrner  (source Bifrost 55)
1 : pour reprendre la formule de Emanuel Beaujot dans le supplément Bifrost sur l'auteur. 
2: Discours d'ouverture de la conférence annuelle de  Fantasy et de SF d'Eaton de l'Université de Californie à Riverside (1985) - Bifrost 55. 
3 : construire un roman de science fiction (the writer 1984) - Bifrost 55. 
*au sens classique, grec


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