lundi 19 mars 2012

Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer


Quatrième de couverture : Situé de nos jours, en Ukraine, ce livre raconte les aventures d’un jeune écrivain juif américain – « Jonathan Safran Foer » – en quête de ses origines. Guidé par un adolescent semi-illettré, Alex, par un vieillard et un chien, il sillonne la région à la recherche des vestiges d’un mystérieux village détruit par les Nazis.
Mais soudain le récit bascule, et nous voici projetés dans un autre monde : du 18 mars 1791 au 18 mars 1942, c’est la chronique terrible et fabuleuse d’un shtetl appelé Trachimbrod qui se déroule sous nos yeux – un shtetl qui n’est peut-être que la version légendaire du mystérieux village... Peuplé d’enfants trouvés, de rabbins kabbalistes, d’amoureux en proie à la fureur érotique, cet admirable roman s’inscrit dans une tradition où la bouffonnerie est souvent l’ultime expression du sacré. Mais c’est aussi un tour de force littéraire d’une stupéfiante modernité.
Passant avec allégresse du religieux au profane, du rire aux larmes et du broken English au grand style, Tout est illuminé est un acte de foi envers le Roman, dans toutes ses dimensions.
En Ukraine, un écrivain juif américain est à la recherche de ses origines, aidé d'un adolescent, Alex, d'un vieillard et d'un chien nommé Sammy Davis junior. Ils sont en quête d'un village détruit par les nazis en 1941. C'est alors que le récit bascule, pour raconter l'histoire d'un shtetl, Trachimbrod, de 1791 au 18 juin 1941.

"Tout est illuminé" m'est tombé dessus presque par voie détournée, à la suite de la découverte de l'adaptation au cinéma du roman. Surprenante bande annonce, si bien mise en valeur par la musique de Devotchka. Il me fallait lire le livre. Celui-ci fut bien différent de ce que j'avais pu imaginer. En effet, l’œuvre est complexe et  ne se laisse pas aisément enfermer dans une analyse synthétique : d'autres chroniques mettraient en avant des aspects ou un ressenti bien différent de ce qui pourrait être relaté ici.

Formellement, le roman est une alternance, d'une part, de lettres et de témoignages écrits dans un anglais approximatif ("broken english") par un ukrainien, Alex,  à un américain juif, Jonathan Safran Foer à la recherche de ses origines en Ukraine, et, d'autre part, de la chronique poétique de Jonathan sur l'histoire d'un Shtelt, village juif local.

L'histoire proprement dite se déroule sur deux lignes temporelles, celle du voyage de Jonathan - alors qu'Alex lui servait de guide avec son grand père - et de ses conséquences sur les protagonistes, et celle de l'histoire des ancêtres de Jonathan dans le shtelt, de la fin du 18e siècle à la seconde guerre mondiale.

Après un instant de désorientation, la lecture des parties attribuées à Alex n'est jamais pesante et révèle autant la maitrise du langage de l'auteur que la grande qualité de la traduction ... En effet, s'il m'est déjà arrivé de lire des textes de personnes qui voulaient "ré-inventer" la langue, le résultat était souvent atroce, ou en tout cas "il piquait les yeux".

Ici, le décalage de langage de l'ukrainien, semble choisi avec attention, toujours avec sa cohérence propre, millimétré. En vérité, pour arriver à ce niveau là il est nécessaire d'avoir une grande maîtrise du style.

Quant à la partie relative à l'histoire du village, elle possède quelques très beaux passages au service d'une histoire dont le lyrisme n'est pas absent.

De l'espace, les astronautes voient les gens qu font l'amour comme de minuscules granules de lumières. Pas de lumière, précisément, mais une lueur qu'on pourrait prendre pour de la lumière, un rayon coïtal qui met des générations à se déverser comme du miel à travers l'obscurité jusqu'aux astronautes.
Au bout d'un siècle et demi environ - après que les amants qui produisirent la lueur seront depuis longtemps couchés en permanence sur le dos - les grandes villes seront visibles de l'espace. Elles luiront toute l'année. Les villes de moindre importance seront elles aussi visibles, mais avec beaucoup de difficulté. Les shtelts seront quasiment impossibles à détecter. Les couples isolés, invisibles.
*****
L'amour dans ton écriture, est l'immuabilité de la vérité. Brod n'est véritable avec rien. (...) Tout est à un monde de distance du réel.

Si le voyage est l'occasion de s'interroger sur ses racines pour construire son identité, passion américaine s'il en est,  d'autres niveaux de lectures semblent possibles, à l'instar de Macbeth et cet emboîtement de pièces de théâtre. La relation entre Jonathan, apprenti écrivain, et Alex laisse apparaître la construction d'un roman sur ce voyage, lequel est l'occasion de voir émerger certaines interrogations : le sens (et la légitimité ?) de la vérité derrière les mots en dehors de l'expérience sensible des "témoins de l'histoire", la possibilité d'un travail sur la mémoire ainsi que l'héritage que cette mémoire laisse. Aussi, la quête par Jonathan de la femme qui aurait sauvé son grand-père des nazis apparaît presque secondaire.

Les juifs ont six sens.
Toucher, vue, goût, odorat, ouïe... mémoire. (...) Quand un juif rencontre une épingle, il demande : Quelle sensation produit son souvenir ?

La dernière page tournée et le livre refermé, il reste une œuvre, habitée par un humour rempli d'une certaine gravité, le seul moyen d'exprimer le plus justement possible la tristesse qui traverse les personnages et les événements relatés. Et l'amour... Mais au final tout est illuminé...


A noter que l'auteur, végétarien convaincu semble-t-il,  a également publié "Faut-il manger les animaux". Quelques unes de ses convictions se retrouvent d'ailleurs dans le personnage de Brod (p96-97). Critique de l'ouvrage sur reflets de...

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